Vincent Frédéric-Colombo, anti-clichés

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Vincent Frédéric-Colombo, anti-clichés

Né d’un projet photographique puis d’une soirée, C.R.E.O.L.E est la marque de ce créateur originaire de Guadeloupe. Figure de la mode parisienne, repéré pour ses castings de rue pour Vivienne Westwood ou Kenzo, fanatique de Bernhard Willhelm, celui qui a étudié le design et l’anthropologie lance un label à l’esthétique afro-latino-caribéenne qui parle à la fois d’histoire, de politique, de culture et de genre.

Ta marque s’appelle C.R.E.O.L.E, mais n’est pas une marque de boucles d’oreilles donc ?

La boucle d’oreilles est le premier repère de la culture créole, et un symbole que j’aime détourner mais ma marque est d’abord un acronyme et un sigle qui signifie « Conscience Relative à l’Émancipation Outrepassant Les Entraves » ou l’idée d’une interprétation de l’identité créole qui dépasse le mythe tropical et son folklore associé. Comme le disait l’écrivain Edouard Glissant, la créolité rassemble plus largement que ce que l’on veut bien croire. Les sociétés créoles sont au carrefour des civilisations et des cultures, à condition de bien vouloir se libérer des carcans dans lesquels on a tendance à nous enfermer et à assumer notre émancipation intellectuelle et créative.

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L’ignorance du monde sur la culture créole t’agace-t-elle ?

Mon rôle est justement de montrer ses profondes et vastes inspirations. Nous avons souvent manqué d’ambassadeurs pour mieux faire connaître notre culture. La musique y a aidé avec Kassav’, Admiral T ou Kalash mais les gens ignorent d’où nous venons exactement et ignorent que les sociétés créoles regroupent des communautés d’Europe, d’Afrique, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et des populations natives… Heureusement, l’élection de Miss France que j’adore est là pour rappeler, un peu, qui nous sommes !

Tu ne trouves pas cela trop cliché pour le coup ?

C’est un concours et la Guadeloupe, d’où je viens, brille en général à chaque élection. Il faut être fier de ce coup de projecteur. Les filles terminent régulièrement dans les 5 finalistes et marchent comme des déesses. Je ne raterai ce rendez-vous pour rien au monde.

La mode peut-elle changer les perceptions sur la culture créole ?

La mode ajoute à la culture du rhum, du zouk, des femmes ou de la virilité sexuelle masculine, un nouveau prisme et – qui sait ? – peut imposer de nouvelles normes. Ma marque et celles des autres créateurs qui s’intéressant à la culture créole et caribéenne, peut avoir une incidence sur la manière dont s’écrira désormais l’histoire de la mode.

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Comment définir ta collection ?

Une mode qui s’intéresse à tous les genres de la masculinité. D’abord à travers un style workwear directement inspiré de l’uniforme d’ouvrier d’outre-mer qui travaillait dans les tunnels du métro parisien, revu et corrigé à travers un print rastafari et panafricain. Une façon pour moi de reparler des métiers assignés à la diaspora des métiers des Outre-mer, venue en France par le biais du programme du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer) du début des années 60 jusqu’aux années 80, et envoyés dans l’administration ou le bâtiment.

Une mode qui emprunte aussi au carnaval !

Aux Antilles, le carnaval représente un moment sacré. Avant d’aller voir les Fashion week parisiennes, c’était mon terrain de jeu favori. On ne parle pas vraiment de collections de vêtements mais de concours flamboyants, lancés sur des thématiques précises avec des codes précis. Je rêve de devenir un juge une fois dans ma vie ! Des défilés de carnaval, j’ai imaginé des looks smockés en satin, rappelant les culottes portées sous les robes doudous et sortant du seul empire féminin.

Christiane Taubira sur un tee-shirt, un coup de foudre ?

C’est l’une des icônes les plus actuelles. Un personnage capable de bousculer les idées, de faire avancer les combats. Elle rappelle la place de la femme dans la culture antillaise, toujours sacralisée. Je lui devais cet hommage (ndlr, le tee-shirt indique en message « I don’t want die without Taubira President »).

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La mode peut-elle et doit-elle être politique ?

La mode a toujours accompagné ou souligné les mouvements politiques. Le vêtement peut faire passer des messages implicites ou explicites, et faire communiquer les gens entre eux. Cela ne vient pas d’aujourd’hui. Même dans les lointaines tribus, le costume traditionnel véhiculait déjà des messages politiques.

Raison pour laquelle, tu remets sur le tapis l’épisode du Képone ?

La mode peut faire reparler de tragédies (ndlr, le chlordécone ou képone est un pesticide ultra-toxique qui fut utilisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies en Guadeloupe et Martinique et qui contamina les sols, les rivières, la faune, la flore et les populations humaines) sans forcément utiliser d’images choc. En reprenant la formule moléculaire ou en figurant l’insecte ravageur, le charançon, j’essaie d’apporter une nouvelle lecture à un évènement de notre histoire.

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Dans ta collection se dévoile aussi une nouvelle lingerie façon tricot, crois-tu vraiment que les hommes vont la porter ?

L’idée n’était pas prévue au programme. Elle est arrivée au moment des essayages sur un délire. Ces pièces s’adressent à un public niche en réalité, et surprise !, les femmes s’y intéressent aussi. Derrière l’image du slip en crochet, se lit l’envie d’être très décoratif en rappelant, grâce au point floral, des références de l’architecture créole, et de rendre l’esprit napperon beaucoup plus masculin en le déclinant en couleur denim. En le représentant sur des hommes, l’idée était aussi de bousculer le conservatisme ambiant, l’hypocrisie des questions sexuelles dans les Outre-mer – ou comment concilier pudeur et performance sexuelle -, ou le rejet de l’homosexualité.

La prochaine étape après cette collection ?

Pérenniser, vendre et me structurer. C.R.E.O.L.E n’est pas une marque de merchandising mais développe, dans un esprit couture, un vestiaire sportswear et urbanwear. Je vais me battre pour continuer, tenter les concours, chercher des investisseurs et même étoffer mes collections autour de lignes de bijoux, d’accessoires de maroquinerie et de chaussures.

Par Alexis Chenu

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