Guerlain : Quand la Matière devient Art

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Guerlain : Quand la Matière devient Art

La 14ème édition de l’exposition annuelle d’art contemporain à la Maison Guerlain s’est déroulée du 21 octobre au 14 novembre 2021 dans le cadre du parcours privé de la FIAC. Intitulée « Quand la matière devient art », elle pose la question de la matérialisation de l’idée créatrice à travers la transformation du matériau. Faut-il de la matière pour faire une œuvre d’art ? La réponse est NON, pour preuve l’apparition des premiers NFT (Non-Fungible Token) en 2015 dont l’immatérialité a bouleversé le monde de l’Art. Dans ce cadre, Liu Bolin, le célèbre « homme invisible » chinois, a accordé une interview exclusive à Apollo Magazine.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Dana-Fiona Armour - Haut und Knochen (2021) - silicone, pvc, calcium, carbonate, pigments, gélatine de porc - Dana-Fiona Armour - Haut und Knochen (2021) - silicone, pvc, calcium, carbonate, pigments, gélatine de porc

« QUAND LA MATIERE DEVIENT ART »

En signant l’exposition « Quand la matière devient art », Guerlain réaffirme à quel point son art de parfumeur est étroitement lié à la nature : des savoir-faire uniques, un engagement sans faille fondé sur la sublime qualité des matières premières et un désir constant d’innovation. Avec cette 14ème édition, la Maison Guerlain se tourne vers la matérialité de l’œuvre. Question qui, dans les douze derniers mois, a vu son actualité constamment évoluer avec une offensive digitale dans quasiment tous les domaines du quotidien, incluant les expériences culturelles et artistiques.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Lionel Sabatté - Loup (2018) - Poussière sur structure métallique 33 x 43 x 25 cm - Lionel Sabatté - Loup (2018) - Poussière sur structure métallique 33 x 43 x 25 cm

23 ŒUVRES D’ART CONTEMPORAIN

Dans cette exposition, la matière première, tantôt naturelle, organique, minérale, artificielle, industrielle ou digitale est transformée, détournée, sublimée… De la matière première à la matière virtuelle, la commissaire de l’exposition Caroline Messensee a rassemblé œuvres sculpturales, peintures, photographies, installations de 23 artistes internationaux et français, confirmés et émergents de la scène contemporaine. Tout d’abord, celles « tangibles » d’Ana Silva, Calixte Dakpogan, Céline Cléron, César, Christa Sommerer & Laurent Mignonneau, Tomas Libertiny, Vik Muniz, Wim Delvoye, Zhuo Qi, Dana-Fiona Armour, Georgia Russell, Jean-Charles Blais, Lee Bul, Lionel Sabatté, Nacho Carbonell, Najla El Zein, Philippe Cognée, Philippe Favier.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Sabrina Ratté - Florescendi (2021) - Vidéo 4K - Sabrina Ratté - Florescendi (2021) - Vidéo 4K

Mais aussi des œuvres digitales certifiées NFT (Non Fungible Token*) spécialement réalisées pour l’occasion, par Constance Valéro, Lauren Moffatt, Liu Bolin, Sabrina Ratté, qui font l’objet d’une vente aux enchères inédite, dont les bénéfices seront intégralement reversés à la Fondation Goodplanet présidée par Yann-Arthus Bertrand, pour financer la création d’un jardin-laboratoire en agriculture régénératrice.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Lauren Moffatt - Compost VIII (2021) - Vidéo 4K - Lauren Moffatt - Compost VIII (2021) - Vidéo 4K

QU’EST-CE QU’UN NFT ?

Littéralement « jetons non-fongibles », les NFT garantissent la traçabilité et l’authenticité des fichiers digitaux avec un code unique et sécurisé. La blockchain – un système informatique participatif et décentralisé qui permet de certifier des transactions – introduit le concept de rareté dans l’art digital et place ces œuvres au même niveau que l’art analogique. La matière artistique devient plurielle, à la fois tangible et immatérielle à l’image d’un monde contemporain en pleine mutation.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Constance Valero - De Nectar et d'Ambroisie (2021) - Expérience interactive en réalité augmentée - Constance Valero - De Nectar et d'Ambroisie (2021) - Expérience interactive en réalité augmentée

LIU BOLIN

Parmi les artistes exposés, Liu Bolin, aussi connu sous le nom de l’ « homme invisible » pour Hiding in the City. Nous avons obtenu une interview exclusive de l’artiste chinois, qui nous a parlé de son oeuvre NFT « The last Warrior », de son histoire avec la Maison Guerlain et de son engagement pour faire évoluer le monde actuel…
* Propos recueillis par Virginie Garcia*

Vous êtes un artiste pluridisciplinaire – photographie, vidéo, peinture – mais vous avez fait plus particulièrement des études de sculpture. A quand une exposition de sculptures Liu Bolin ?

J’ai été étudiant de premier et deuxième cycle en sculpture, mais je suis surtout connu pour mes vidéos et mes performances. C’est un peu un regret pour moi, alors je passe toujours plus de temps en studio à expérimenter la sculpture et les installations. Je ne sais pas quand je serai invité à exposer mes sculptures, mais j’espère que ce sera bientôt.

Comptez-vous poursuivre votre œuvre Hiding in the city mettant à l’honneur le body art ?

Oui, je vais continuer à créer pour ma série Hiding in the city, et trouver de nouvelles problématiques dans le développement de l’Homme, qui seront l’arrière-plan de mon travail. Depuis l’épidémie, je sens qu’il y aura de plus en plus de choses destructrices pour les êtres humains, et c’est devenu l’une des principales raisons et motivations pour que je continue, comme si j’étais chargé d’une sorte de mission d’enregistrer et d’exprimer mes opinions.

En 2012, vous avez fait une collab avec Jean-Paul Gaultier, Valentino, Lanvin et Missoni, en 2017 vous avez participé à la campagne de pub Moncler, aujourd’hui Guerlain, quel est votre rapport à la mode ?

Pour ma série Hiding in the city, différentes couleurs étaient peintes sur mon corps pour en faire une partie de l’arrière-plan, et je portais des uniformes militaires chinois, il était naturel pour moi d’avoir un lien avec la mode et les vêtements. Lorsque je travaille avec des créateurs de mode, je leur donne aussi un peu d’inspiration. Je pense que l’art et la mode sont inséparables, et ils sont tous destinés à ornementer la vie des gens, afin qu’ils puissent mieux comprendre et apprécier la vie, et exprimer leur créativité. Guerlain organise une exposition d’œuvres d’art, qui est aussi un soutien à l’art, et en tant qu’artiste, je suis très heureux d’avoir l’opportunité de coopérer à nouveau avec cette marque.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Liu Bolin - image de base pour l'oeuvre de l'artiste - Liu Bolin - image de base pour l'oeuvre de l'artiste

Votre œuvre dénonce entre autres l’aliénation de l’individu face à l’identité collective, êtes-vous plutôt du genre solitaire ou préférez-vous l’effervescence de la foule ?

Dans mon travail, mon corps disparaît dans un environnement dans lequel je ne suis pas uniquement moi, mais chacun de nous. Nous sommes engloutis par la civilisation et la culture que nous avons créées. Je m’interroge davantage sur comment comprendre le monde, comment comprendre l’univers. Tenter de poser la question de la compréhension de la vie avec un prisme humain.

Vous déclarez aimer beaucoup la France, à quoi est dû cet attachement ?

J’ai parlé à diverses reprises de mon attachement à la France. Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela, la première étant ma formation. Quand j’étais diplômé, Anna, professeur à l’École Supérieure des Beaux-Arts, nous a donné un cours sur les matériaux. Son expérience a influencé ma création jusqu’à présent, et ma perception des matériaux, et comment ils peuvent apporter plus d’expression dans les œuvres d’art. Deuxièmement, ma première exposition à l’étranger était en France, et il y a beaucoup de gens en France qui aiment mon travail. Enfin, j’aime particulièrement la culture française. Quand j’étais en France pour affaires, chaque fois que j’avais le temps, j’allais au Centre Pompidou, au Louvre, au Palais de Tokyo, au Musée d’Orsay et au musée Picasso. Plus d’une fois, je suis allé à Paris encore et encore pour étudier et apprendre, et pour parler aux maîtres. C’est pourquoi j’aime tant la culture française : elle me donne énormément d’énergie.

Vous aviez déjà produit une œuvre pour La Petite Robe Noire en 2015, pouvez-vous nous parler de votre histoire d’amour avec la Maison Guerlain ?

L’expression de l’amour et sa transmission sont dans la philosophie de Guerlain. Lorsque j’ai travaillé avec la marque en 2015, c’était aussi le 10e anniversaire de ma rencontre avec ma femme bien-aimée, donc cela semblait être le bon moment pour mettre à l’honneur notre histoire d’amour avec cette pièce.

Comment avez-vous élaboré cette œuvre NFT ?

Les NFT étaient déjà abordés avant la pandémie, mais lorsqu’elle s’est produite, les gens ont dû passer par Internet pour apprécier, acheter et vendre des œuvres d’art, de sorte que le concept de NFT a ressurgi. J’ai également commencé à créer des peintures virtuelles pendant la période de quarantaine, car la seule façon de comprendre le monde pendant cette période était d’utiliser les téléphones portables, les ordinateurs et les réseaux sociaux. J’ai découpé des photos prises par mon cercle d’amis sur Instagram et les ai transformées en matière pour mes peintures. En fait, il y a une possibilité de peindre virtuellement, mais je ne suis pas sûr de ce que c’est exactement. Bien sûr, les NFT représentent une nouvelle façon de faire de l’art, une nouvelle plateforme faite de code.

Cette œuvre est ma nouvelle tentative artistique, avec 23 téléphones portables, d’une œuvre de 2018. Pour cette œuvre, j’ai activé la fonction appareil photo des téléphones portables et le dernier téléphone est tourné vers le premier écran pour former une boucle fermée. Les 23 téléphones portables sont connectés au début et à la fin, et les images forment une transmission ininterrompue dans toute la boucle fermée, et une mystérieuse couleur bleue apparaît. Nous pouvons sentir le nouveau temps et l’espace, la couleur de la technologie, la couleur du code.

Beside Sport - Guerlain : Quand la Matière devient Art - Liu Bolin - The last warrior (2021) - photographie - Liu Bolin - The last warrior (2021) - photographie

Dans le cadre de cette nouvelle collaboration avec Guerlain, vous participez à une opération de marketing responsable inédite, dont les bénéfices seront reversés à la fondation Goodplanet. Ce n’est pas la 1ère fois que vous avez des démarches d’ordre caritatif, pouvez-vous nous en dire plus sur vos engagements ?

Je suis très reconnaissant à Guerlain d’avoir décidé d’organiser cette exposition virtuelle sur le thème de la nature. En tant qu’artiste, j’ai toujours pensé à l’intersection du virtuel et du réel, et avec les discussions que nous avons avec les civilisations mobile et informatique, le thème de la nature est très important. J’aime beaucoup participer à des évènements comme celui-ci, qui valorisent mon travail et l’aident à apporter du réconfort aux gens, car c’est l’une des fonctions de l’art. J’ai participé à deux ventes aux enchères caritatives organisées par les Nations Unies à Paris et à Genève, en 2018, afin d’aider les pauvres en Afrique. Lutter contre la pauvreté et la faim devrait être la direction de nos efforts communs, et nous devrions utiliser notre amour pour compenser et reconstruire. Tout comme pour reconstruire le monde après la pandémie, l’art doit œuvrer pour un avenir meilleur.

Quelle est votre vision du monde actuel aux niveaux politique, culturel, société de consommation et liberté d’expression ?

J’ai une vision du monde en tant qu’artiste et en tant que personne. En tant qu’artiste, mon point de vue est celui d’un observateur, et j’essaie d’être le plus objectif possible. J’ai le sentiment que les problèmes de l’humanité en sont à un moment où les mondes virtuel et réel sont en guerre. Notre politique traditionnelle, notre culture créée par des milliers d’années de civilisation humaine, y compris notre soi-disant consommation, et même notre liberté d’expression, ont toutes été remplacées par le code informatique et les mégadonnées. Nous sommes inévitablement passés à un autre niveau, au niveau virtuel de la liberté de discussion. Nous sommes confrontés au problème de la censure, non seulement par les politiciens dans la vie réelle, mais aussi par Internet. Tout le monde fait désormais partie des données : nos téléphones portables nous suivent, les endroits où nous allons, les moments où nous sommes en ligne… Nous devenons les collecteurs et les utilisateurs de données. C’est notre problème humain actuel.

Comment faites-vous bouger les lignes, notamment en termes d’environnement et d’écologie ?

Dans mon travail, j’insiste sur la relation contradictoire entre les êtres humains et la civilisation qu’ils créent, aussi génératrice que restrictive. L’environnement (écologique, naturel, humain et politique) auquel nous sommes confrontés s’exprime dans mon travail. Je pense qu’au fur et à mesure de la propagation de l’épidémie, nous passerons lentement par une transformation d’un corps physique en un corps de données ou un corps spirituel, j’essaierai également d’exprimer la confusion que cela crée dans mon futur travail.

Quelle citation vous caractérise le mieux ?

Je vais en partager deux issues de mes réflexions récentes : « Ceux qui chassent sont finalement chassés. » et « Restez immobile et profitez des fleurs qui s’ouvrent sur l’écran et regardez-moi et mes amis vieillir de jour en jour. »

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BS

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