L’Apollo « Nicolas Dubreuil »

Explorateur Interview

L’Apollo « Nicolas Dubreuil »

Apollo était le Dieu grec des Arts, du chant, de la musique, de la beauté masculine, de la poésie et de la lumière. Ainsi quoi de mieux qu'interroger les artistes français pour savoir s'ils possèdent certains attributs d'Apollo.

Notre Apollo du jour a 54 ans, a été maître de conférence en informatique à l’université pendant une trentaine d’années et désormais s’est reconverti dans l’organisation d’expéditions polaires en Arctique et Antarctique. Véritable sommité du milieu, il a poussé l’expérience jusqu’à quitter la France et s’installer dans un petit village du Groenland du nom de Kullorsuaq. Parlant le groenlandais, il connaît les rudiments de cette culture mais aussi la dangerosité de cette région hostile du globe. Son nom est : NICOLAS DUBREUIL, IL EST AVENTURIER ET FONDATEUR DE SEDNA, UNE SOCIETE DE CONSEIL ET D’EXPERTISE POLAIRE.

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– Nicolas, comment devient-on l’un des meilleurs spécialistes au monde des régions polaires ?

Nicolas Dubreuil : Meilleur, c’est peut-être un peu trop d’honneur (rires) ! Mais spécialiste, oui, c’est certain. Tout d’abord, il faut du temps car ce n’est pas en un seul voyage que l’on peut tout connaître et tout comprendre sur ces régions extrêmement complexes. De mon côté, cela fait trente ans que j’y vais et que je possède une maison dans le nord du Groenland, l’un des endroits les plus difficiles d’accès de tout l’Arctique. Aujourd’hui, j’ai plus de 200 expéditions à mon actif. Je dirais que de devenir spécialiste, c’est avant-tout de l’expérience du terrain à engranger, que cela soit à travers des réussites ou des échecs.

– Aujourd’hui, tu habites donc à Kullorsuaq au Groenland. Peux-tu nous parler de ce pays un peu méconnu ?

N.D : Effectivement, on connait peu le Groenland car on s’est très peu intéressé à lui ! On a commencé à vouloir en savoir plus sur ce pays et ses habitants à partir des années 1900 et la conquête du pôle. Vu que des gens s’étaient établis là-bas, ceux-ci devaient savoir comment se déplacer ou même survivre dans ces régions et donc on a voulu exploiter leurs connaissances. Mais cela n’a pas duré et du coup, c’est pourquoi l’on connaît très peu de choses sur cette partie du globe. Il faut savoir que le Groenland est la plus grande île au monde si l’on considère que l’Australie est un continent. Avec 3000 kilomètres de long, 1000 kilomètres de large et recouvert à 90 % par de la glace, le Groenland accueille 56 000 habitants, c’est-à-dire la population d’une petite ville française sur un territoire gigantesque.

Contrairement à l’imaginaire collectif, le Groenland est très divers et si tu vas au Sud, tu as une région très verte (d’où le nom Groenland donné par les Vikings lorsqu’ils sont arrivés en venant d’Islande) où tu peux faire de l’élevage ou cultiver la terre. Si l’hiver, il fait tout de même -15/-20°, en été, la température est relativement clémente. Au milieu du pays, il y a la capitale, Nuuk, 16000 habitants, c’est énorme pour le Groenland et ridicule pour nous. Et enfin plus tu remontes au nord, plus c’est difficile d’un point de vue logistique. Par exemple, pour se rendre dans mon petit village de  Kullorsuaq depuis Paris, il faut prendre 5 avions différents et un hélicoptère pour terminer s’il fait beau. Si les conditions météorologiques ne sont pas optimales alors, il faut y aller en motoneige ou en chien de traineau et là il faut 3-4 jours. Donc le voyage, c’est minimum 3 jours et maximum de 7 à 10 jours.

– Est-ce que la vie est difficile à Kullorsuaq ?

N.D : En ce moment, il fait -28° minimum et il neige donc pour nous, occidentaux, cela s’apparente à l’enfer. Mais la vérité, c’est que ce n’est pas le cas. En effet, il y a des techniques de vie qui font que finalement, c’est un lieu qui peut être agréable. Bien sûr, cette vie n’est pas pour tout le monde mais on peut y vivre et non pas y survivre. Pour ma part, j’aime Paris, qui est une ville magnifique, mais le quotidien est, selon moi, beaucoup plus doux à Kullorsuaq.

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« il faut savoir que le mot "nature" n'existe pas chez eux car c'est un peuple animiste : l'Homme et la Nature ne font qu'un. »

Nicolas Dubreuil

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– Quel est le morphotype du groenlandais ?

N.D : Sur les 56000 habitants que compte le Groenland, il doit y avoir environ 6000 étrangers danois qui viennent travailler au Groenland et le reste, c’est une population autochtone. Celle-ci vient des inuits du Nunavut qui viennent eux des inuits d’Alaska, qui viennent eux des inuits sibériens et qui viennent eux d’Asie. Ils ont donc un profil très asiatique avec des yeux bridés notamment.

– Ils parlent donc groenlandais ?

N.D : Effectivement, la langue officielle, c’est le groenlandais même si le danois reste la langue administrative. Le groenlandais est une langue de la famille eskimo-aléoute, agglutinante, très particulière et pas du tout nordique. Si les autochtones apprennent le danois à l’école, ils finissent par l’oublier et cela créé pas mal de soucis notamment pour toutes les démarches administratives. La langue groenlandaise va raconter énormément de choses et il faut savoir que le mot « nature » n’existe pas chez eux car c’est un peuple animiste : l’Homme et la Nature ne font qu’un. On peut également citer l’absence du mot « parité », tout simplement car il n’y a aucune différence entre l’homme et la femme

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– Comment fait-on pour s’intégrer dans une société si différente de celle que l’on a toujours connu ?

N.D : Ce n’est clairement pas évident surtout lorsque l’on arrive avec nos poncifs et nos croyances occidentales. Ma première clé, cela a été d’apprendre le groenlandais sans chercher à faire du Danois. Il faut imaginer qu’il n’y a pas de livres et donc que je suis allé à l’école au milieu des enfants sur ma petite table. C’était absolument génial !

Comprendre la langue, c’est primordial pour comprendre la culture.

– Comment es-tu perçu dans ton petit village ?

N.D : Beaucoup d’aventuriers sont passés par le Groenland pour réaliser une première ascension et du coup, les groenlandais ont l’impression que leur pays est un terrain de jeu. Ils n’apprécient qu’à moitié ce sentiment surtout qu’on ne s’intéresse pas forcément à eux. Pour ma part, il s’avère que lors d’une expédition, je suis tombé à l’eau sous la banquise en plein mois de février et que j’ai failli perdre la vie. Je m’en suis sorti car je sais nagé, que j’avais déjà expérimenté la chute à l’eau et que je ne m’étais pas laissé aller au stress. J’ai alors eu les mains et les pieds gelés mais j’ai pu conserver mes doigts. Mon histoire est passée à la radio locale, ils se sont bien moqués de moi et en toute humilité, je suis allé les voir pour leur dire que j’avais « merdé » et que je souhaitais ardemment qu’ils m’apprennent toutes leurs connaissances sur la glace notamment. J’ai tout plaqué et je suis parti vivre avec eux. La démarche leur a plu, j’ai acheté une maison et je me suis intégré naturellement.

« Il y a une superbe phrase qui dit : Dieu pardonne tout, l'Homme parfois, la Nature jamais »

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– Ont-ils un intérêt pour notre vie occidentale ?

N.D : Il faut savoir que la vie quotidienne à Kullorsuaq n’est pas une sinécure. Il faut pêcher, chasser,…Néanmoins, ils sont intrigués par notre vie car ils sont au courant de tout via internet. Tout le monde a un profil Facebook là-bas et ils communiquent énormément par Messenger. Ce sont des gens très astucieux car même s’ils ont gardé leur mode de vie traditionnel, ils ont complètement intégré la vie moderne. Ainsi, par rapport à notre société, ils ne sont ni dans le jugement, ni dans l’admiration mais ils sont curieux de notre vision des choses.

– Nicolas, qu’est-ce qui t’attire dans la découverte de ces contrées lointaines et isolées de notre planète ?

N.D : Lors de ma première expédition, j’avais 18 ans donc je le faisais pour épater les filles mais aussi les garçons, en toute honnêteté. Il y avait un côté très égocentré et j’ai mis beaucoup de temps avant de me questionner sur le pourquoi je retournais sans cesse dans ces régions. Je pense que la surpuissance des zones polaires, en particulier de l’Arctique, c’est que tout d’un coup, tu te retrouves à ta juste place. C’est-à-dire que la nature est tellement rude et violente qu’elle te fait comprendre que tu n’es pas le bienvenu. Il y a une superbe phrase qui dit : « Dieu pardonne tout, l’Homme parfois, la Nature jamais ». Et en fait, même si tu es fragilisé devant cette nature, tu ressens une certaine harmonie et c’est sûrement pour cette sensation incroyable que j’y retourne à chaque fois.

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– Comment est née l’aventure SEDNA ?

N.D : Une fois détaché de l’exploit sportif et de ce côté égocentrique, je me suis rendu compte que personne ne posait de questions aux groenlandais. Donc, au lieu d’arriver avec mes skis, mon traineau et ma tente d’expédition, je suis allé les voir et je leur ai demandé de m’expliquer comment ils réalisaient leurs expéditions. Désormais, je créé donc des expéditions avec les autochtones et on fait à leur manière.

– A quoi ressemble une expédition SEDNA avec toi ?

N.D : Premièrement cela va dépendre de la volonté des groenlandais. Ce que j’essaie de faire, c’est de co-construire une expédition avec eux. Mon rôle est un peu celui d’un garde-fou vis à vis des clients. En général, on part faire une expédition avec quatre chasseurs groenlandais, quatre voyageurs et moi pendant de une semaine à dix jours. Ce genre d’expédition n’est pas à prendre à la légère et au préalable, je rencontre toujours les personnes qui partent. Il faut savoir que cette expérience va avoir un impact immense sur eux et je dois donc les préparer à cela.

De plus, il ne faut pas se voiler la face, se rendre dans ces régions là est extrêmement dangereux du fait de la banquise, des ours ou encore du froid. Après, l’intérêt pour moi est qu’ils sortent de leur zone de confort, visualisent cet endroit et ce milieu mais en aucun cas, on ne met leur vie en péril. Néanmoins, le choc psychologique est tel qu’il peut s’avérer dangereux.

– Est-ce que tout le monde peut participer à l’aventure SEDNA ou faut-il une préparation spéciale ?

N.D : Souvent les gens me disent qu’ils sont très sportifs, qu’ils courent tant de kilomètres par semaine, qu’ils font tant de pompes par jour,…mais tout cela n’a aucun intérêt. La préparation n’est pas sportive mais mentale. Cela va tourner autour de la résistance au froid ou encore de l’engagement dans l’effort qu’il va falloir pouvoir mesurer. De plus, il faut surtout savoir pourquoi on fait ce voyage et pourquoi on a envie de rencontrer ces gens. Ce voyage, c’est avant tout de l’humain et non pas une coche à remplir sur sa « to-do list ».

– Quel est le type de personne qui se prête à l’aventure SEDNA ?

N.D : Alors il y a de tout ! Néanmoins, la majorité sont des personnes bien installées dans la vie car cela coûte très cher. Par exemple, le billet d’avion pour venir jusqu’à chez moi, c’est 5000 euros donc il faut un certain engagement financier. Après en moyenne d’âge, on est plus sur du quarantenaire ou cinquantenaire mais il n’est pas rare d’avoir un gamin de 25 ans qui a fait un emprunt pour vivre cette aventure.

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– Quel est le moyen de locomotion que tu préfères pour arpenter le Groenland ?

N.D : Le traineau avec les chiens, sans hésitation ! Cette communion avec les chiens, un environnement sans un bruit, c’est sublime mais également très difficile. J’aime aussi tout particulièrement la plongée et le snorkeling en eau froide. Il y a une dimension où tu réalises qu’il y a un monde immense sous la glace et du coup plein de choses que l’on ne connaît pas.

– SEDNA, c’est aussi un fort aspect scientifique et notamment autour de la faune polaire. Que peux-tu nous dire à ce niveau là ?

N.D : Comme j’ai pu le dire précédemment, on co-construit les expéditions avec les communautés autochtones mais on co-construit également celles-ci avec des scientifiques. C’est-à-dire que l’on essaie de faire profiter de la chance que les gens ont de pouvoir aller à Kullorsuaq et une partie de leurs billets permet de financer un scientifique et un projet de recherche. De plus, on forme les groenlandais à travailler pour les scientifiques et ceux-ci récoltent les données pour divers programmes scientifiques.

Concernant la faune polaire, j’ai un bon exemple avec un scientifique qui souhaitait travailler sur le Narval, la licorne des mers, et poser des balises dessus. Malgré les satellites, l’étude des sons, etc…les scientifiques se sont rapidement rendus compte que les groenlandais en savaient beaucoup plus sur les narvals qu’eux et donc qu’il fallait venir les interroger. Les groenlandais observe le narval, le chasse, le mange et donc le connaisse parfaitement.

Comme tous ces animaux polaires, à l’image de l’ours, du phoque et donc du narval, ils sont tous parfaitement adaptés et sont donc très sensibles aux ruptures climatiques.

– Est-ce bon le narval ?

N.D : C’est spécial (rires) ! On mange surtout le gras et la peau car cela donne beaucoup de vitamines et de graisses pour résister au froid. Pas sûr qu’en France, cela cartonne !

– Au niveau climatique, qu’as-tu observé au Groenland que tu pourrais nous partager ?

N.D : Récemment, je cherchais une destination pour une expédition avec les chasseurs groenlandais et je voulais me rendre dans les « Nouvelles Terres ». Et eux ne souhaitent pas y aller par peur car cela n’existait pas à l’époque de leurs parents. Sur la carte, ils me montrent la calotte glacière et ils m’ont expliqué qu’il n’y avait plus de calotte et plus de glacier. Pour schématiser, c’est comme si deux fois la taille de Paris avait disparu et qu’en dessous de ce glacier, des vallées, des îles et des presqu’îles avaient apparu. Il y a moins de gens qui sont allés là-bas que sur la lune.

– Pour conclure, Quel est pour toi l’Apollo de l’exploration ?

N.D : J’ai lu Mallory, Paul-Emile Victor et tous les explorateurs mais ceux qui m’épatent le plus au quotidien, ce sont ces groenlandais et en particulier Ole Eliassen. Un ami avec qui je pars tout le temps et qui m’a sauvé la vie plus d’une fois !

– Merci à toi Nicolas

N.D : Merci à toi Paul

Interview réalisée par Paul Diey

Crédit photos : Nicolas Dubreuil

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