Aussi généreux dans son jeu d’acteur que mystérieux concernant sa vie personnelle, aussi doué pour les rôles classiques qu’en incarnant des personnages contemporains, aussi à l’aise sur les planches que devant une caméra, Laurent Lafitte passe aujourd’hui derrière celle-ci en réalisant son premier film L’origine du monde. L’occasion de parler avec lui de ses inspirations, ses rencontres-clé et ses projets à venir
Laurent Lafitte se met à nu
Votre premier rôle c’était en 1987 vous aviez seulement 14 ans dans le téléfilm L’Enfant et le Président, de Régis Milcent, qu’est-ce qui vous a motivé à passer le casting, vous faisiez déjà du théâtre au collège ?
Non, je n’avais absolument pas fait de théâtre, mais je pense que c’était déjà un désir d’acteur, mon père lisait France Soir et j’avais repéré que dans France Soir, de temps en temps, il y avait des annonces de castings. A partir du moment où j’avais repéré ça, je regardais tous les jours s’il y avait quelque chose, j’étais déjà à fond ado !
Donc vous aviez plus des ambitions de cinéma que de théâtre à l’époque ?
J’ai découvert le théâtre assez tard, presque vers la vingtaine parce que mes parents n’allaient pas au théâtre et du coup moi non plus. Je le regardais à la télé « Au théâtre ce soir » mais c’était un théâtre particulier, c’était le théâtre de boulevard, ça me faisait marrer, notamment certains comédiens, j’adorais Jacqueline Maillan, Michel Roux.
Votre premier coup de cœur théâtral ?
Il y en a eu plusieurs, le vrai choc esthétique qui m’a ouvert les horizons artistiques, c’est le Hamlet mis en scène par Patrice Chéraud repris au Théâtre de la Villette, je devais avoir une vingtaine d’années et ça a été une révélation car c’était la première fois que je voyais un théâtre qui était sans limite au niveau esthétique, pas bloqué dans le réalisme, dans le figuratif et du coup, ça paraissait infini. C’était une belle relecture d’une œuvre classique et c’était tout le génie de Patrice Chéraud en fait, que je découvrais sans vraiment le comprendre et sans vraiment en mesurer l’étendue.
Ensuite, vous avez fait le cours Florent en classe libre et vous y avez rencontré des acteurs avec lesquels vous avez fait des films par la suite…
En effet, j’ai fait le cours Florent et j’ai terminé en classe libre, je suis parti puis revenu pour jouer un spectacle. Marina Foïs, on se connaissait déjà mais c’est là que j’ai rencontré Gilles Lellouche, Guillaume Cannet, Judith El Zein… et mon agent Cécile Felsenberg. Elle est l’agent aussi de Gilles, Guillaume, Marina, mais à l’époque elle était au secrétariat du cours Florent et à chaque fois, on allait la soudoyer pour obtenir des salles de répétition et on avait une petite blague « ben voilà, quand vous serez comédiens, je serai votre agent », on ricanait là-dessus sans espérer que ça puisse se passer et finalement, ça s’est passé ! (rires)
Puis vous avez fait le Conservatoire national des Arts dramatiques, vous avez dit qu’on vous y a enseigné un rôle d’acteur « citoyen », vous pouvez nous en dire plus ?
J’avais une approche du théâtre comme un divertissement, et au Conservatoire, j’ai découvert une dimension supplémentaire à ce que pouvait être un acteur, en étudiant vraiment le théâtre, que ce soit la mission du théâtre public, la mission de la décentralisation, le TNP de Villars, Chéraud aux Amandiers, la Comédie Française, le fonctionnement des salles nationales, à quel point il devait être aussi un moyen d’élévation et que c’était une parole à transmettre vers certaines classes sociales. Et il y a toute une dimension dont moi, dans mon ambition de divertissement, je n’avais pas eu conscience.
En 2019, on vous a vu dans la web-série Abonne-toi avec Bertrand Usclat (Yes vous aime), que pensez-vous de ses vidéos satyriques dans Broute ?
J’en ai vu quelques-unes et je le trouve très drôle, et Pauline Clément aussi, avec qui je travaille à la Comédie Française. Je ne fais pas beaucoup de choses comme ça mais quand ils me l’ont proposé, j’y suis allé avec plaisir et on a bien rigolé.
Votre auteur comique préféré ?
J’adore Feydeau, ce que j’aime chez lui particulièrement, c’est qu’il n’y a pas un désir d’épater intellectuellement, il y a une obsession d’efficacité comique et son génie se situe à cet endroit-là. La manière dont il va pousser ses situations et dont il va les faire rebondir. Et en plus, ça raconte beaucoup de choses sociales mais ça c’est presque un second niveau de lecture qu’il n’a pas forcément voulu appuyer mais qui était quand même présent dans son écriture. Je préfère la folie géniale à l’intelligence géniale (de Guitry par exemple). Je ne dirais pas que je n’aime pas Guitry mais c’est un auteur que j’ai beaucoup lu, en fait j’en suis revenu, alors que Feydeau je continue à être étonné par sa folie et son génie comique.
Pour vous c’est quoi être un acteur ?
C’est un être humain qui va provoquer des émotions réelles à la disposition de situations fictives pour faire croire à une histoire.
Pour vous, quelle est la différence entre acteur et comédien ?
Je ne sais pas. Il y en a qui disent que comédien c’est théâtre et acteur c’est cinéma. Après en même temps c’est le même métier et en même temps ce n’est pas la même chose, comme les chanteurs quand ils font de la scène et qu’ils sont en studio. Je fais la même chose mais différemment si je puis dire.
Et vous pensez que le théâtre et le cinéma se complètent ?
Je ne peux pas imaginer ne pas faire de théâtre, je ne peux pas choisir entre les deux. Quand je fais du cinéma, le théâtre me manque, et quand je fais du théâtre, c’est l’inverse. Comme je fais les deux, ça va !
Quel est le rôle qui vous a le plus marqué ?
Je n’ai pas vraiment l’impression d’être marqué par des rôles, j’ai l’impression d’être marqué par des metteurs en scène ou des réalisateurs. Je vais finir un film et je n’aurais pas été marqué par ce que j’ai fait d’un personnage. Par contre, ma rencontre avec un metteur en scène, qui va me faire travailler différemment, qui va m’amener à des endroits que je n’avais pas explorés, ça va être des souvenirs forts. Par exemple j’ai beaucoup aimé travailler avec Marion Vernoux sur Les beaux jours. Parce que déjà j’étais avec Fanny Ardant dont j’étais fan, quand vous avez une partenaire qui vous porte, ça aide. Mais Marion avait un regard sur moi qui était différent de celui qu’on avait pu avoir jusqu’à présent, je commençais à pas mal travailler mais c’était quand même le début et ça a été une rencontre importante avec Marion.
Avez-vous une méthode de travail ?
En fait, je vais m’adapter à la méthode du metteur en scène. Quand on travaille avec Christophe Honoré sur le spectacle qu’on a fait sur Proust la saison passée, il y a une structure qui est proposée et autour de ça, il y a ce qu’on appelle l’écriture de plateau qui passe par pas mal d’impro. Mais si je suis face à un metteur en scène qui va être, au contraire, très précis sur le texte, très pointilleux, je m’adapterai aussi. Comme Albert Dupontel pour Aurevoir là-haut, avec qui on a beaucoup répété les séquences alors qu’il y a des réalisateurs qui ne veulent absolument pas répéter, à la rigueur les lire une fois, de peur de déflorer les choses. Je n’ai pas une espèce de méthode que j’appliquerais à tous les rôles, j’ai mes trucs de préparation par rapport à la lecture du scénario, la continuité, de l’avoir bien en tête parce qu’on ne tourne pas dans l’ordre, je vérifie toujours bien où est-ce qu’on en est dans l’histoire pour ne pas avoir un comportement qui ne serait pas cohérent avec ce qui s’est passé avant ou ce qui va se passer après. Et puis, ça parait très basique mais ça ne l’est pas tant que ça quand on connait un peu les plateaux français, j’apprends mon texte. Ce n’est pas rare mais ce n’est pas systématique, je fais partie des acteurs qui apprennent leur texte ! (rire)
Quel rôle rêveriez-vous d’interpréter ?
Ça ne marche qu’au théâtre cette question parce qu’au cinéma, les rôles n’existent pas encore…
… à part si ce sont des films historiques ?
J’aime beaucoup l’histoire de Jean Moulin et j’adore cette période. Oui, Jean Moulin, ça m’intéresserait parce qu’il y a pas mal d’aspects de sa vie personnelle qu’on ne connait pas bien et que je trouve intéressants. Au théâtre, je voulais jouer Don Juan et ça y est je vais le jouer, à la Comédie Française à partir du 28 janvier 2022, c’est une bonne nouvelle.
Vous avez dit « J’essaie de ne pas me répéter dans les rôles », comment les choisissez-vous ?
Déjà c’est l’histoire. En tant que lecteur « est-ce que ça m’intéresse ? Est-ce que j’ai envie de connaître la fin ? », ça c’est presque l’exigence d’un spectateur. Et après, par rapport au personnage, est-ce que je me projette dedans, est-ce que je trouve que c’est une bonne idée qu’on me propose ce rôle ou est-ce que ce n’est pas pour moi, est-ce que je ne l’ai pas déjà fait et est-ce que j’ai envie de le faire. Et puis, il y a les partenaires, c’est une espèce d’équilibre.
Quels acteurs vous ont inspiré ?
J’ai découvert les acteurs français un peu tard en fait, j’étais très cinéma américain des années 40-50 pendant toute mon adolescence. Donc il y a eu tous les acteurs hitchcokiens, Carry Grant, James Stewart, Kim Novak, Grace Kelly, et dans un répertoire différent, Marilyn Monroe, James Dean, Marlon Brando. Chez les français, je suis fan de Louis de Funès, qui est un génie comique absolu, Lino Ventura, Bertrand Blier, Jean-Paul Belmondo, Romy Schneider, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve…
Catherine Deneuve dont vous êtes très proches !
Nous avons été très proches l’espace de quelques minutes, c’était un beau cadeau qu’elle m’avait fait. Quand je lui ai proposé, je n’y croyais pas trop, je savais qu’elle ne venait quasiment jamais à Cannes et, de la faire venir en cachette, juste pour un baiser comme ça sur scène… C’est après coup que j’ai réalisé à quel point c’était énorme qu’elle m’ait dit oui. Je me souviens, je lui ai proposé l’idée, elle a rigolé et elle a dit d’accord alors qu’on ne se connaissait pas. Et on s’est retrouvés le jour J. C’est génial cette forme de curiosité de la part d’une actrice qui a déjà tout obtenu, de garder cette fantaisie avec un type qui débarque et qu’elle ne connait pas, qui lui demande de faire un truc très exposé et en même temps totalement inutile. Je trouve que ça raconte beaucoup qui elle est et ce qui fait sa singularité. (NDLR : Festival de Cannes 2016)
En avril 2021, vous avez participé à la Masterclass « MAGISTRAL.E » sur Canal +. Avez-vous un désir de coacher de jeunes acteurs ?
Je n’ai pas particulièrement de désir d’enseigner, j’ai été prof à Florent avec des ados quand j’étais étudiant au Conservatoire le week-end, j’ai trouvé ça assez sympa mais je ne pense pas être très pédagogue. D’abord, on n’apprend pas à quelqu’un à devenir acteur, du coup je trouve ça assez frustrant comme enseignement. C’est Périmony qui disait « On n’apprend pas à devenir acteur mais on apprend à répéter ». On peut aider quelqu’un qui est déjà un acteur, à travailler mais on ne peut pas transformer quelqu’un qui n’est pas fait pour ça. Du coup, je pense que j’ai été un peu impatient avec mes élèves.
En janvier 2012, vous avez été élu pensionnaire de La Comédie Française, qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Ce n’est pas une élection, c’est un engagement, je nuance parce que ça raconte vraiment ce que c’est. La Comédie Française, c’est un théâtre où j’allais souvent, j’ai aimé l’impulsion qu’a donnée Muriel Mayette, comment elle a renouvelé la troupe et il y avait vraiment plein d’acteurs que j’aimais beaucoup. C’était un moment où je commençais à beaucoup tourner, je savais que ça allait me faire louper des opportunités au cinéma mais je ne regrette pas parce que c’est un endroit où j’ai découvert plein de metteurs en scène très différents, auxquels je n’aurais pas forcément eu accès, des textes, des répertoires que je ne connaissais pas forcément bien. Ça m’a laissé dans une dynamique d’étudiant, c’est ça que j’adore, parce que je trouve qu’à partir d’un certain âge, on est un peu assis sur nos connaissances et on n’évolue plus trop.
Comment gérez-vous l’alternance cinéma-théâtre ? Vous priorisez le théâtre et après, s’il reste du temps, le cinéma ?
Je priorise le théâtre parce que ce sont deux chronologies qui ne sont pas les mêmes. Au cinéma, les dates de tournage fluctuent beaucoup en fonction des financements donc souvent les films sont décalés. Par contre, au théâtre ça se décide longtemps à l’avance et après ça ne bouge plus. A partir du moment où j’ai dit oui à un spectacle, je ne peux pas le bouger, donc si j’ai un film qui se décale, je ne peux plus faire le film. Il y a une priorité qui s’est installée pour le théâtre mais qui est une priorité d’emploi du temps, ce n’est pas une priorité artistique, j’aime autant faire les deux.
Et quel rôle avez-vous refusé à cause de cette incompatibilité d’agenda ?
J’ai un deal avec mon agent, elle ne doit pas me parler des projets qu’on m’envoie si je ne suis pas disponible, ça va me rendre malheureux, je préfère ne pas savoir. Mais pour ceux que j’avais acceptés et que j’ai été obligé de refuser, je devais jouer Cyrano à la Comédie Française et ça tombait à un moment où je devais tourner dans le prochain film de Philippe Leguay avec François Cluzet et Bérénice Bejo. J’ai donc dit non à Philippe, j’ai appris tout Cyrano l’été que je devais répéter à la rentrée. Et il y a eu le COVID, donc on n’a pas joué Cyrano, je l’ai appris pour rien et j’ai refusé le film de Philippe pour rien. C’est le genre de mésaventures qui arrive quand on est à la Comédie Française et qu’on essaie de jongler avec 2 emplois du temps.
Selon vous, quelle est votre plus grande qualité en tant qu’acteur ?
Je pense que je suis sincère dans mes choix et dans mes désirs, et j’espère aussi dans l’interprétation, à ne pas faire appel à des fausses émotions.
Vous dites de Zabou Breitman qu’elle est votre « artiste sœur », comment vous êtes-vous rencontrés ?
C’était sur le film de Gilles Lellouche et Tristan Aurouet qui s’appelle Narco, dans lequel elle jouait et j’avais UNE scène, je faisais un animateur d’un show de démonstration de karaté, pendant lequel Benoit Poelvoorde s’explosait la tête sur des briques. Zabou était dans le public, elle m’a vu faire ce truc, on a déjeuné ensemble à la cantine et on ne s’est plus vraiment quittés. Quelques années après, elle m’a rappelé et elle m’a proposé de jouer dans Des gens, un spectacle d’après Raymond Depardon qu’elle mettait en scène. On était tous les deux sur scène pendant 1h30 à faire plein de personnages différents. Elle m’a proposé ça, directement, seulement en m’ayant vu jouer dans cette petite scène ce jour unique de tournage, je la trouvais dingue de me proposer un rôle pareil alors qu’on ne se connaissait pas. Et depuis cette collaboration-là, on a régulièrement travaillé ensemble. Elle a été la première à me faire confiance au théâtre sur un rôle important.
En 2012, vous avez animé avec elle pendant 6 mois « A votre écoute coute que coute » sur France Inter, pour lequel vous avez eu le prix Nouveau talent radio 2013, est-ce que vous saviez que la chaine de radio avait reçu une plainte pour exercice illégal de la médecine tellement vous étiez crédibles ?
Oui, mais il n’y a pas eu que ça. On en a eu des dizaines de plaintes, on a eu les associations LGBT, le CRIF, l’ordre des médecins, les associations anti-racisme… on a tout eu parce que, et c’est ce qui était génial, le deal avec Philippe Val qui dirigeait France Inter à l’époque, c’était qu’on ne lui faisait pas lire les textes avant, il n’écoutait pas les épisodes avant, il les découvrait au moment de la diffusion. Et lui, ça le faisait marrer parce qu’il a retrouvé un peu de la folie de Charlie Hebdo là-dedans. Ce qu’on a aimé faire avec Zabou, c’est qu’on n’annonçait pas que c’était de la parodie, de l’humour et les propos étaient encore plus saisissants et c’était le but recherché. En même temps, ces réactions, elles sont disproportionnées parce que c’est un problème d’humour mais je trouve ça pas mal que les gens qui sont censés être à l’affut de la moindre démonstration de fascisme, quel qu’il soit, réagissent. Comme je faisais un médecin bidon, je n’arrêtais pas de donner des faux conseils de médecine. Je peux comprendre que ça énerve les médecins qui se disent que si un auditeur tombe là-dessus par hasard, il puisse croire que c’est un vrai conseil. Mais si on commence à penser à toutes les manières d’écouter les choses, en humour, on ne peut plus faire grand chose.
Maintenant, parlons de L’origine du monde, c’est votre premier film en tant que réalisateur. Pouvez-vous nous faire le pitch ?
Il est inpitchable le film je trouve, et à chaque fois que je le pitche les gens sont très mal à l’aise et me regardent avec des yeux bizarres en se demandant si je blague ou pas. Donc j’arrête de le pitcher maintenant, je dis aux gens « Allez le voir et le fait qu’il ne soit pas pitchable, ça devrait vous donner envie ». De toutes façons, moins on en sait, plus le film est surprenant et fonctionne.
Comment définiriez-vous ce film ? Comédie ? Drame ?
C’est une comédie dramatique ou c’est un drame qui fait rire, en tout cas j’ai essayé de le construire comme ça. Avec les acteurs, c’est tout le temps ce que je leur disais, de ne pas du tout prendre en charge la comédie dans leur jeu, de faire confiance aux situations et de les incarner au premier degré.
Vous vous êtes inspiré d’une pièce de théâtre de Sébastien Thiéry, qu’est-ce que vous avez retravaillé pour que ce soit déclinable au cinéma ?
J’ai gardé des grandes parties entières de la pièce, environ 70 %. Et les 30 % restants, j’ai rajouté des extérieurs pour casser le côté huis-clos. La pièce commençait quand le cœur de Jean-Louis s’arrête de battre, j’ai rajouté toute sa vie avant, qui n’existait pas. Dans la pièce je trouvais bizarre qu’ils n’essaient pas de l’empoisonner, de l’endormir, donc j’ai rajouté une scène où ils essaient. Et j’ai essayé de déthéâtraliser un peu les dialogues, ça a été un équilibrage en fait.
Comment avez-vous vécu l’aventure d’être à la fois devant et derrière la caméra ?
En tant qu’acteur, c’était moins jouissif que quand je suis avec un metteur en scène parce qu’il n’y avait personne pour me donner des indications dans des directions différentes. Du coup, d’une prise à l’autre, j’ai moins de nuance de jeu et au montage j’étais un peu limité pour les plans sur moi. Je n’ai pas trouvé ça hyper intéressant en tant qu’acteur, d’être dirigé par soi-même. En plus, moi en tant qu’acteur, je ne vais jamais regarder mes prises quand je suis dirigé par quelqu’un, là j’étais obligé de le faire mais je les regarde, je n’ai pas vraiment d’avis, je ne sais pas quoi me dire ! (rires)
Et vous aimeriez vous prêter à l’exercice d’être juste réalisateur pour un film ?
Oui j’aimerais bien. Peut-être que le prochain je jouerai dedans, je n’en sais rien, ça n’a pas été une expérience rédhibitoire. Mais si je joue dans mon prochain film, peut-être que je demanderai à quelqu’un d’avoir un regard juste sur la direction d’acteur pour m’aider sur mes scènes.
Vous avez été nommé 2 fois pour le César du meilleur acteur dans un second rôle pour Elle et pour Au revoir là-haut, vous disiez que quand vous lisiez un scénario, vous aviez pendant 3 sec le réflexe de vous dire « ça c’est un rôle à César », pensez-vous qu’avec ce film, vous pouvez prétendre à un César pour un premier rôle ?
Non, je ne pense pas et franchement, je m’en fous un peu. Mon film, j’ai travaillé dessus pendant plus de 2 ans, il est dans un tiroir depuis 1 an, là je n’ai qu’une envie c’est qu’il sorte et surtout qu’il plaise aux gens et que les gens se marrent. C’est vraiment un film que j’ai fait pour que les gens rigolent. Peut-être que quand ils annonceront les César, s’il n’y a pas de nomination pour mon film je serai déçu mais là, ce n’est pas l’important.
Justement, nous avons vécu plusieurs confinements à cause de la pandémie, l’avez-vous vécu comme une épreuve ou une façon au contraire de travailler votre imaginaire différemment ?
Ça a été horrible et ça a atrophié mon imaginaire. Moi j’écris dans les cafés ou je me mets dans ma loge de la Comédie Française, je n’arrive pas à écrire chez moi, je n’aime pas être enfermé, j’ai besoin de sortir et de sentir la vie autour de moi pour travailler. Là, j’étais enfermé à la campagne et c’était vraiment désagréable.
Pour être créatif, vous avez besoin du lien social ?
Ah oui, j’ai besoin de sentir la vie, je n’ai pas du tout envie d’être dans une bulle. Ou alors si, dans une bulle mais c’est comme la solitude, la solitude elle est agréable quand elle est choisie. Là, cette espèce d’enfermement obligatoire, c’était horrible, je n’ai pas du tout aimé ça.
Dans L’origine du monde, il est beaucoup question du sexe, féminin notamment, quel est votre rapport à votre corps ?
Évidemment, j’idéalise toujours des choses comme tout le monde, on aimerait être plus comme ci, plus comme ça, de temps en temps je fais des efforts, j’adore bouffer donc je fais attention à ne pas trop manger, à faire du sport… Et en même temps, j’aimerais bien n’en avoir rien à foutre.
Diriez-vous que l’impudeur la plus difficile est physique ou morale pour un acteur ?
Dans le métier d’acteur, il y a quelque chose d’impudique mais qui est presque plus dans l’impudeur du sentiment exprimé. On peut très bien exprimer des émotions sans être impudique, d’ailleurs un acteur qui est trop expansif dans ses émotions, trop démonstratif, moi ne va pas me toucher. Je vais être plus ému par des larmes retenues que par une explosion lacrymale. La pudeur c’est subjectif, on ne la place pas tous au même endroit. Moi je n’aime pas être à poil dans les films, heureusement ça ne m’arrive pas souvent.
Pourtant dans le film, c’est une scène d’anthologie !
Ce qui est drôle dans la scène, ce n’est pas tant la nudité, c’est la situation, le but pour lequel on se met à poil qui est complètement débile.
Vous allez faire un shooting mode pour Apollo Magazine, quel est votre rapport à la mode ?
Il est assez contradictoire parce que je n’y connais pas grand chose et par contre, quand il y a quelque chose de vraiment fort ou quand il y a beaucoup de créativité et de savoir-faire artisanal, avec les accessoires, les décors, j’adore quand il y a ce mélange-là. Dans la mode, quand je regarde des défilés, je suis assez sensible à ça.
Pour les César 2019, vous êtes apparu faussement botoxé pour dénoncer les excès de chirurgie esthétique, est-ce que vous avez des secrets de beauté ?
Alors je ne me lave jamais le visage au savon, uniquement à l’eau. J’avais entendu Paco Rabanne il y a quelques années dire ça et je trouvais qu’il vieillissait bien, du coup, je fais comme lui. Et puisqu’on parlait de mode, j’aime beaucoup ce que fait Julien Dossena (NDLR : Directeur Artistique de Paco Rabannne).
Là, nous sommes dans un jardin et tout à l’heure, nous évoquions le fait que ça sentait fort le jasmin, c’est quoi votre parfum ?
Mon parfum, c’est un très vieux parfum de Versace, le premier, que mon parrain m’avait offert pour mes 15 ans et depuis, je vais avoir 48 ans, et je le mets toujours.
C’est quoi votre livre de chevet en ce moment ?
J’avais fait un spectacle sur Candide à la Comédie Française il y a quelques années et j’ai entendu il n’y a pas longtemps Elisabeth Badinter parler du Traité sur la tolérance de Voltaire, donc je l’ai acheté.
Pour les César 2021, vous avez écrit les sketches de la cérémonie avec Blanche Gardin. Vous aimez écrire pour les autres ?
Oui, mais c’est difficile. J’avais un peu écrit avec Antoine de Caunes quand il présentait les César il y a une dizaine d’années mais ils n’avaient pas gardé mes vannes. C’est difficile, parce que l’écriture ce n’est pas juste des phrases, c’est la manière dont on va les délivrer. Et il y a une vanne qui va marcher dans la bouche de quelqu’un et pas forcément dans la bouche de quelqu’un d’autre.
A quand un scénario par Laurent Lafitte ?
Une histoire originale ? Pas une adaptation, vous voulez dire ? Oui bien sûr, j’ai une idée sur laquelle je travaille en ce moment. C’est difficile, car j’ai du mal avec les histoires. Les situations, les dialogues, ça va, c’est assez fluide mais la structure d’une histoire, beaucoup moins. Je comprends pourquoi à une époque, avant que la nouvelle vague vienne tout balayer, il y avait un réalisateur, un scénariste, un dialoguiste. Dans la chanson aussi c’était pareil, il y avait un compositeur, un parolier, une interprète. Après les réalisateurs ont voulu devenir aussi auteurs, les chanteurs ont voulu devenir artistes-auteurs-interprètes, ça s’est mélangé. J’admire les gens qui arrivent à faire ça, moi j’ai vraiment l’impression que ce sont des compétences très différentes.
Suite à la 45ème cérémonie des César, quand il y a eu la polémique Polanski, une réforme a été engagée par l’Académie des César avec une assemblée désormais élue et paritaire (164 membres) et plus de membres de droit, qu’en pensez-vous ?
J’imagine que c’est mieux, il y a des gens qui étaient en place depuis très longtemps alors qu’ils ne faisaient plus de cinéma depuis des années. Ce n’est pas pour ça qu’ils n’ont pas un regard intéressant sur le cinéma, il ne faut pas faire du dégagisme, du jeunisme, ce serait absurde. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu un désir de changement de la part des premiers intéressés, à savoir les professionnels du cinéma qui ne se sentaient pas représentés comme il fallait dans cette association.
Apollo Magazine se veut le magazine masculin le plus féministe qui soit, est-ce que vous vous sentez féministe ?
Oui, je me sens féministe mais pas comme un militant ou un activiste. En fait, c’est un débat qui me dépasse presque tellement pour moi, ça ne fait aucune différence. Je ne m’adresse absolument pas différemment à une femme qu’à un homme, je ne considère pas le travail d’une femme différemment de celui d’un homme, ça m’est tellement égal donc j’ai du mal à avoir un avis sur ces questions-là. J’ai un avis au niveau sociétal, parce que je vois bien les inégalités de salaire, j’en suis témoin de ces inégalités-là, les quotas je pense que c’est absurde mais nécessaire. C’est une étape, ça tombe là maintenant et je pense que malheureusement, il n’y a que ça qui peut faire bouger les choses.
Vous êtes complètement absent des réseaux sociaux, comment ça se fait ?
Parce que je parle au public, je ne parle pas la foule. Il y a des communicants dans les théâtres, chez les distributeurs de films, dans les maisons de production dont c’est le métier, de parler des spectacles, et qui font ça bien. Moi ce n’est pas mon métier et j’aime le mystère, j’aime bien ne pas savoir. Les acteurs que j’aime, j’aime bien en savoir peu sur eux. Les réseaux sociaux, ça ne me correspond pas du tout.
Concernant vos futurs projets, j’ai lu que vous vous apprêtiez à tourner un film sur Molière signé Olivier Py ?
Absolument, c’est un projet que j’ai avec Olivier mais on est en train de décaler le tournage. C’est un film sur la dernière nuit de Molière, le soir de sa dernière représentation du Malade Imaginaire, c’est un très beau scénario qu’on doit faire, du coup, l’année prochaine.
L’année prochaine, vous allez aussi tourner à partir de mars, une mini-série pour Netflix qui s’appelle Wonderman, 6 épisodes de 45 min, où vous allez interpréter le rôle de Bernard Tapie dans ses jeunes années, pourquoi cette envie ?
Parce qu’il représente une espèce de fascination, détestation, attirance, répulsion très française, avec plein de contradictions, c’est un personnage étonnant.
Et vous lui ressemblez physiquement ?
Pas énormément mais il y a dix ans, je tournais avec Tristan Séguéla dans un film dans lequel je portais une perruque et on s’était fait la réflexion avec Tristan, qui le connait depuis qu’il est enfant puisque son père c’est Jacques Séguéla, qu’il y avait une légère ressemblance. Je lui ai dit « c’est marrant parce que c’est un personnage que j’aimerais bien interpréter », il m’a dit « moi aussi j’adorerais raconter son histoire », et c’est parti de là.
En 2022, on va aussi vous voir à l’affiche des Gars sûrs, la suite de l’autre côté du périph avec Omar Sy, c’est quoi le pitch ce nouvel opus ?
Alors le pitch, c’est pareil en fait, c’est-à-dire que deux flics que tout oppose sont obligés de collaborer, ça c’est la base, c’est le classique du Buddy Movie. Sauf que le premier volet jouait beaucoup sur la différence Paris-banlieue, et le deuxième va être plus sur la différence Paris-province, parce qu’on part bien au-delà du périph’, en Savoie.
Est-ce que vous aimez ce genre d’exercices des sagas. C’est-à-dire que vous avez déjà fait Les petits mouchoirs/Nous finirons ensemble, Papa ou maman/Papa ou maman 2, vous aimez ça les « suites » ?
Oui, c’est rare de retrouver un personnage au cinéma. C’est vrai que là, c’est la 3ème fois que je le fais mais c’est le hasard. Et c’est la chance aussi parce que ça veut dire que les 1ers volets ont bien fonctionné. Je trouve ça marrant de retrouver un personnage, surtout là c’est 10 ans après quasiment. Avec Omar, c’est fou parce que les personnages reviennent vite, on a retrouvé dans nos impro la manière dont ils se répondaient, la manière dont ils se mettaient en contradiction et c’était assez drôle.
En 1999, vous avez fait une école de comédie musicale anglaise (la Guildford School of Acting), j’imagine que vous êtes complètement fluent en anglais, avez-vous des ambitions de films américains, vu que c’est ce qui vous faisait rêver quand vous étiez petit ?
Oui et non. Là, vous voyez, ce n’est pas un film américain mais c’est un film international, je devais jouer dans Downtown Abbey, le 2ème volet, et puis entre temps j’ai reçu un scénario, un premier long-métrage d’une jeune réalisatrice qui s’appelle Céline Devaux, avec Blanche Gardin et Marthe Keller, qui tombait au même moment. Les anglais n’ont pas voulu me libérer alors que je ne tournais que 7 jours. Je devais choisir entre les 2 et je me suis dit « je vais faire un petit rôle de 7 jours uniquement parce que c’est en anglais et ne pas faire un premier film intéressant avec des actrices que j’aime ? ». Du coup, j’ai quitté Downtown Abbey pour faire le film de Céline, qui s’appelle Tout le monde aime Jeanne. Je vous raconte ça parce que c’est un petit peu symptomatique de mon rapport aux films en anglais, ce qui m’intéresse surtout, c’est les rôles, je privilégierai toujours un rôle plus important en français, pas forcément en termes de taille mais plus intéressant. Donc si un jour, j’ai un rôle important, intéressant, dans un film anglais ou américain, oui carrément.
Interview : Virginie Garcia
Photos : Arno Lam
Stylisme : Sonia Bedere
Marques :
BERLUTI : manteau caban en matière technique et détails en cuir, pantalon noir en laine vierge
CHARVET : chemise rayée en popeline, boutons de manchette
DIOR HOMME : veste croisée prince de galles, chemise en coton blanche, pantalon de jogging en toile de laine grise
HERMES : pull à col roulé, mocassins, bottines en veau marron ébène
HUSBANDS PARIS : pull marin en laine mérinos bleu marine
PRADA : manteau à double boutonnage en laine