L'acteur français, connu pour sa filmographie variée et son talent pour la métamorphose, s’est confié sur sa carrière, son rapport complexe à son père et son désir d’échapper à lui-même.
Lambert Wilson, l’ombre et la lumière
Dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, au milieu du fourmillement de parisiens pressés, entre les devantures colorées des commerces et les odeurs de rôtisserie, de curry ou de solvant, une silhouette gracile, immense et élégante, déambule. Lambert Wilson, 59 ans, s’amuse comme un enfant lors de la séance photo, ravi qu’on le plonge dans des situations cocasses. Il prend la pose, l’oeil frétillant, avec un plat de poisson brillant, plonge son nez avec gourmandise dans un Saint-Honoré… Heureux d’être surpris : « Il y a une vitalité qui sort des séances photos classiques, j’ai adoré, confie-t-il. Et puis ce que j’aime dans ce quartier, c’est que les gens viennent me parler, alors que dans le Marais, où j’habite, ils osent moins. » Durant l’interview, Lambert Wilson est concentré, attentif à ce que le téléphone prenne bien le son dans un café bruyant. Généreux, il se livre, connaît l’exercice par coeur et s’y prête avec enthousiasme, même si une migraine le guette à force de brouhaha.
LA DECOUVERTE DU SOI
Quand l’acteur se raconte, son regard bouge, comme ses mains, il semble chercher le mot juste ou plutôt se chercher lui-même. Mais dès qu’il s’agit d’écouter l’autre, il fixe alors un regard sérieux, avec une pointe d’enfant timide qu’on sent encore en lui. Il émane de Lambert Wilson une forme d’apaisement, une sagesse acquise au fil des années, des expériences et des épreuves. Et puis une part d’ombre aussi, toujours là, comme un murmure sourd ou une petite musique de fond avec laquelle il accepte aujourd’hui de devoir composer. La comédie a toujours fait partie de la vie de cet homme dont le père, Georges Wilson, était acteur et directeur du Théâtre national populaire de Chaillot. Un homme terriblement exigeant : « Il l’était avec moi, mais aussi avec tout le monde », justifie-t-il. Sa mère, Nicole, « a failli être mannequin dans les années 1950. Elle était très belle. J’ai appris récemment qu’elle avait été choisie par Dior pour représenter la Maison mais elle avait une santé fragile, donc elle n’avait pas pu le faire ». Admiratif de ses parents, le petit Lambert Wilson découvre le théâtre dès l’âge de 4 ans, va voir avec son frère leur père jouer au Festival d’Avignon, à Chaillot ou ailleurs. Mais le virus de la comédie ne le prend pas immédiatement : « Ma maîtresse d’école m’avait dit un jour : “toi, tu seras acteur comme ton père”. Et je lui ai répondu : “surtout pas, un acteur c’est quelqu’un qui n’est jamais à la maison. »
Le déclic survient plus tard, à l’adolescence, lorsque son père l’emmène à la première des Trois Mousquetaires de Richard Lester, avec Faye Dunaway et Raquel Welch : « Il y avait un bal masqué à la Conciergerie, c’était absolument spectaculaire. J’avais 13 ans et le lendemain, j’ai décrété que c’était ça que je voulais faire. Toutes ces paillettes et ce faste m’ont fait l’effet d’un shoot très fort. » Le jeune garçon en déficit d’attention voit là le moyen d’être écouté, adulé, d’avoir son « visage en surdimensionné sur grand écran ». Pour ressembler à ses héros, Dustin Hoffman et Robert Redford, et aussi pour se démarquer du père, Lambert Wilson décide d’aller étudier à Londres et de revenir bilingue, doté d’une solide formation. Une véritable claque pour le jeune homme : « Ça a été à la fois fondamental et en même temps traumatisant. J’ai beaucoup souffert parce que j’étais dans une ville étrangère dont je ne maîtrisais pas encore la langue, et l’école était très dure. Et puis je n’étais pas doué. J’ai simplement toujours eu une capacité à dépasser ma peur, du courage, voire une inconscience qui me fait aller à fond. Je sais après 40 ans d’expérience professionnelle que j’ai appris le métier d’acteur, mais je n’étais pas fait pour ça. »
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APPRENDRE A SE FAIRE VIOLENCE
Lambert Wilson quitte l’école à l’âge de 20 ans, six mois avant la fin de sa formation, pour son premier job : une pièce de théâtre dans laquelle il donne la réplique à son père. Mais cette fois, l’acteur se sent prêt à lui faire face : « Un jour je suis arrivé en retard à la répétition et le metteur en scène ne m’a rien dit, mais mon père a immédiatement pris la parole et m’a remonté les bretelles devant tout le monde. Je lui ai dit, et c’est sorti tout seul : “ce n’est pas votre problème, monsieur Wilson”. Je l’ai remis à sa place parce que j’entrais dans une nouvelle ère, celle de ma vie, dans laquelle il n’était pas le patron. Ça lui a plu. » Dès lors, Lambert Wilson s’accroche à son indépendance, vit dans une petite chambre parisienne, gagne sa vie comme il peut : « Je faisais du doublage, j’ai même doublé des films érotiques allemands ! » Mais l’enfant timide le poursuit toujours. Mal à l’aise dans son corps et en société, il rougit sans arrêt, et se trouve pétri d’inhibitions que ses premiers rôles vont vaincre brutalement : « Je me suis retrouvé sur le plateau d’André Téchiné à l’âge de 23 ans. Il me demandait de me foutre à poil ou de mettre la main de Wadeck Stanczak dans la culotte de Juliette Binoche… Tout ça devant une équipe. À un moment, on est obligé d’y aller. J’ai été brusqué… On a toujours une réserve d’inhibitions jusqu’au moment où on finit par se sentir bien en soi-même, ou alors on fait un gros craquage, ce qui m’est arrivé il y a huit ans. À la suite de quoi il n’y a plus grand chose qui pose problème. Sauf la nudité totale, parce que je ne suis pas du tout content de mon corps, donc je n’aime pas le montrer. »
S’il regrette ne pas savoir utiliser son outil corporel à 100 %, Lambert Wilson a su en revanche travailler son instrument vocal. Aussi bien pour son métier d’acteur que pour le chant, véritable carrière parallèle essentielle à son bonheur : « J’aurais pu trouver ma voie dans la musique si on m’avait fait faire une psychothérapie à 17 ans pour essayer d’extirper de moi pourquoi je voulais être acteur. On se serait peut-être rendu compte que ce n’était pas jouer la comédie qui me plaisait, c’était tout ce qu’il y avait à côté. On écoutait beaucoup de musique à la maison, mon père adorait ça. Il rassemblait des amis tous les lundi pour faire du jazz, et mon frère est d’ailleurs aujourd’hui musicien de jazz. » Mais c’est vers le cinéma qu’il s’est dirigé, en tant que jeune premier d’abord, auprès d’actrices telles que Juliette Binoche (Rendez-vous), Charlotte Valandrey (Rouge Baiser) ou encore Sophie Marceau (La Boum 2). La maturité des jeunes actrices fascine Lambert Wilson, tout comme le désir qu’elles suscitent chez les réalisateurs : « Il m’est arrivé de souffrir du rapport avec un metteur en scène homme parce que, surtout si vous êtes un jeune acteur avec une belle gueule, il a besoin de vous et en même temps il vous en veut d’être dans cette position. C’est curieux, soit c’est du désir, soit du sadisme. »
« Mon rêve dans la vie, c’est l’absolue mobilité. C’est pour ça que je suis acteur, pour pouvoir bouger, changer de peau, être un oiseau »
Lambert Wilson
CAMÉLÉONIDÉS
Acteur à la belle gueule oui, mais aussi homme de foi (Des hommes et des dieux), commandant Cousteau (L’Odyssée) ou prince déjanté (Palais Royal), Lambert Wilson aime brouiller les pistes et jouer les transformistes. La faute à sa formation, mais aussi à sa personnalité : « J’ai voulu faire ce métier parce que je n’aime pas du tout être dans moi-même. Le temps d’un rôle, on se trouve bien parce qu’on est dans une autre peau. On apprend aussi à se connaître mieux, à savoir finalement qui on est, pourquoi on fait les choses, parce qu’en réalité on ne se transforme jamais complètement, ce sont des multiplications de soi-même. Je propose toujours au metteur en scène une apparence différente, je ne veux pas avoir la même tête, ça m’ennuie. Il n’y a rien de pire qu’un réalisateur qui me dit : « Ce rôle, c’est exactement vous !”. Ça ne m’intéresse pas de jouer moi, je ne sais pas qui je suis moi ! » C’est aussi pour cela que Lambert Wilson ne lit pas les commentaires qui le concernent, se tient à l’écart des réseaux sociaux et refuse qu’on lui colle une étiquette : » Quand on cristallise une image de gendre idéal ou d’homme de foi, moi je veux faire le contraire immédiatement. Je veux m’échapper. »
Pourtant, certains rôles sont plus bouleversants que d’autres et font écho en soi. Ça a été le cas pour les films Hiver 54, où il incarnait l’Abbé Pierre, et Des hommes et des dieux, où il se glissait dans une robe de moine. Lambert Wilson, qui n’a pas reçu d’éducation religieuse, y trouve des éléments de réponse : « Quand j’ai rencontré l’Abbé Pierre, je me suis emparé de lui pour lui poser des questions. Maintenant, j’en suis arrivé à la conclusion que les religions me font peur. Et en même temps je dois être une forme de réincarnation de moine, parce que j’ai trouvé facile de me mettre dans la peau d’un homme comme l’Abbé Pierre. Aujourd’hui je suis moins confus, j’ai compris que je recherchais chez les autres la bonté, je suis en contact avec un sens dans l’Univers. Mais il ne faut pas m’emmerder, comme une oie qu’on veut gaver, avec un sens de la vie et de la Création qu’on m’impose. Alors là, je peux devenir féroce. »
Il en résulte une générosité, une attention à l’autre et un engagement pour des causes qui lui tiennent à coeur. Emmaüs, Haïti, Greenpeace… « Je me reproche souvent de ne pas en faire assez parce que nous, les acteurs, sommes là, à nous occuper de nous-même, à vivre dans le luxe, à nous prendre le pouls en permanence… À un moment, je ne suis pas fier de moi et il faut faire un pas vers les autres. Là, je vais partir avec Greenpeace voir les mangroves qui risquent d’être détruits par un nouveau forage pétrolier. Je ne suis pas très optimiste, mais je me dis qu’il faut quand même faire le maximum pour essayer de se battre. Et puis c’est le seul moment où la notoriété est utile. » Une notoriété qui ne l’empêche pas de préserver sa vie privée, dont on ne sait rien et qui n’entrave pas sa soif de liberté : « Le pire cauchemar pour moi, ce serait de devenir comme Brad Pitt. Vous arrivez n’importe où dans le monde et tout le monde vous connaît. C’est une torture. J’ai envie de liberté, c’est fondamental. »
BOULIMIQUE DE TRAVAIL
Lambert Wilson sera bientôt à l’affiche de trois films, dont Volontaire d’Hélène Fillières, mais aussi sous les traits d’un directeur de conservatoire dans Au bout des doigts avec Kristin Scott Thomas, et dans la peau d’un éditeur tyrannique dans Les Traducteurs de Régis Roinsard. Il sera également au théâtre en 2019 et sur les planches pour un spectacle musical l’année d’après. Et le repos dans tout cela ? « Je pense que le travail me structure, j’y trouve mon équilibre. Quand je suis laissé à moi-même… Ça va moins bien. On verra plus tard pour les breaks, il faut que la vie soit palpitante. »
Photographe : Antonin Guidicci
Styliste : Marco Manni
Marques :
DIOR HOMME : Manteau, t-shirt, jean
BOTTEGA VENETA : Trench
CELIO : Pull
SALVATORE FERRAGAMO : Trench, pull et pantalon
CHURCH’S : Souliers en cuir « Shannon », mocassins « Pembrey », mocassins « Tunbridge »
CARTIER : Montre
FALKE : Chaussettes
BRUNELLO CUCINELLI : Costume, veste en daim
ERAM : Baskets