Hafsia Herzi, l’instinct de Grâce

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Hafsia Herzi, l’instinct de Grâce

Son visage est loin d’être inconnu. Hafsia Herzi, 31 ans, crevait l’écran il y a dix ans dans La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche. La profession récompensait alors l’authenticité de son jeu en lui attribuant le César du meilleur espoir féminin. Depuis, la force et la sensualité de l’actrice ont séduit des réalisateurs comme Bertrand Bonello, Emmanuelle Bercot ou encore Roschdy Zem. Mais la gamine des quartiers Nord de Marseille garde la tête sur les épaules et les deux pieds plus que jamais ancrés dans le sol. Celle qui a conservé l’accent chantant et la gouaille de son Sud natal possède un franc-parler et une ambition sincère. D’actrice, elle se mue en réalisatrice, depuis un premier court-métrage prometteur en 2010 jusqu’à des récents projets plus personnels et engagés. Dialogue avec une instinctive convaincue.

Vous avez toujours voulu faire du cinéma ?

Je ne viens pas du tout du cinéma, je n’ai aucune formation, mais c’était un rêve. Depuis toujours, je veux être actrice et réalisatrice. Ma mère n’était pas du tout cinéphile, mais les films me faisaient rêver, ils me permettaient de m’évader. En particulier Pagnol, j’ai le souvenir d’un ton réaliste qui me touchait. J’aime les belles histoires.

Quel genre d’enfant étiez-vous ?

J’étais une petite fille sage, rêveuse et surtout curieuse. Il faut l’être quand on est actrice parce qu’on s’inspire des autres. On doit aimer les gens, être fasciné par eux, ce sont eux qui nous motivent. J’étais aussi ambitieuse et volontaire. Je crois qu’il faut l’être aussi.

Votre rencontre avec Abdellatif Kechiche a été déterminante…

Je m’en rappelle comme si c’était hier ! On n’a pas beaucoup parlé, mais il y a tout de suite eu une tendresse. C’était comme si on s’était toujours connus, j’étais à l’aise, pas du tout sous pression. Même chose pendant le tournage. Quand on n’a pas de formation, on n’est pas conscient des enjeux d’un film, de ce que ça peut coûter. C’était magnifique, j’étais heureuse.

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La Graine et le Mulet vous a permis de remporter le César du meilleur espoir féminin à 21 ans. Qu’avez-vous ressenti ?

C’était la première fois que je pleurais d’émotion. Quand ces gens vous récompensent, vous entrez dans la famille du cinéma. Pour moi qui venais des tours de Marseille, avec une mère qui faisait des ménages et un père décédé sur les chantiers, c’était incroyable. Ma famille était heureuse pour moi, ils m’ont vu grandir avec ce rêve. Et puis ils me connaissent, ils savaient que je ne dérapais pas, je travaillais et je rentrais à Marseille.

Comment choisissez-vous vos films ?

Je suis guidée par une histoire qui me touche, l’envie de travailler avec le réalisateur, et l’instinct aussi. J’ai besoin de sentir un défi. J’aime les rôles où il faut apprendre quelque chose, où il y a un travail de composition, et où je peux travailler sur moi-même et sur mes émotions. Parfois les émotions n’existent pas en soi, ça permet d’aller les chercher. Quand je joue, j’oublie les caméras, je suis dans l’abandon.

Vous travaillez beaucoup vos personnages en amont ?

Je suis studieuse, mais je n’aime pas intellectualiser les choses. Il faut aussi se laisser porter par le partenaire, c’est un échange, une écoute. Il faut que la rencontre humaine avec le réalisateur et les autres acteurs se passe bien, si je sens que ça ne va pas le faire, je ne m’engage pas. On ne peut pas travailler avec quelqu’un qu’on n’aime pas. Les émotions sont intimes, si on n’est pas à l‘aise, on ne donnera pas.

Vous avez déjà réalisé un court-métrage et travaillez sur un long, Bonnes Mères. Pourquoi l’appel de la réalisation ?

Je ne veux pas dépendre du désir des autres, c’est le cas quand on est acteur. La réalisation m’a toujours passionnée, surtout l’écriture. Quand j’ai fait La Graine et le Mulet, j’ai beaucoup appris en regardant, en posant des questions, en restant alors que j’avais fini ma journée de tournage. Je vais reprendre Bonnes Mères l’année prochaine, j’attends le reste des financements. En attendant, je suis en train de monter un film où je suis productrice, réalisatrice et actrice : Tu mérites un amour. Ça parle d’une fille qui vient de se séparer et s’enfonce dans la dépression. Elle est perdue, sans repères, elle essaie de se reconstruire avec son entourage et se perd dans des rencontres.

Comment se passe ce tournage ?

Je le réalise sans argent !  Je me suis toujours dit, avec l’expérience des tournages, qu’on pouvait faire un film avec quatre/cinq personnes. J’ai proposé à mon équipe de Bonnes Mères de me suivre pendant cinq jours sur cet autre film, et si ça leur plaisait, on continuerait. Ça a été le cas. On demandait l’autorisation de tourner dans les cafés, les boîtes de nuit, on appelait des amis le matin pour l’après-midi… J’ouvre aussi ma boîte de production en parallèle, je veux prouver qu’on peut faire des films si on en a vraiment envie. Il faut qu’il soit vendu maintenant, je vais démarcher les chaînes télé. Je suis très instinctive, je l’ai fait parce que j’ai eu un bon pressentiment.

Et Bonnes Mères ?

Bonnes Mères a été écrit pendant des années, il a été financé. C’est plus personnel, une autre réalité. C’est l’histoire d’une mère de famille qui vit à Marseille et dont les trois enfants sont en prison. C’est un portrait de femme qui s’est oubliée, qui est généreuse et survit pour ses enfants. J’avais envie de rendre hommage aux femmes, aux mères et à la mienne en particulier. J’ai écrit en pensant à elle. D’ailleurs, elle tient un petit rôle. Elle ne sait pas lire, mais je lui ai raconté l’histoire. Elle est très fière.

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Que vous apporte le jeu par rapport à la réalisation ?

Le plaisir est différent. Quand on joue, on écoute le réalisateur, on a moins de responsabilités. Il faut être au top, mais il y a plus de repos. La réalisation c’est la guerre ! C’est toi qui diriges le projet, si t’es pas motivée, personne ne le sera. Je n’ai pas le choix, quoi qu’il arrive il faut transmettre de l’énergie. En faisant ce métier, c’est comme si je me sentais pleinement vivante, dans mon corps et ma tête.

Quels sont vos prochains projets ?

This Teacher, un film indépendant américain dans lequel j’ai le rôle principal, celui d’une femme française qui va à New-York seule et vit une expérience étrange dans une forêt. Mais je ne lâcherai pas la réalisation, ce n’est que le début.

Photographe : Sylvie Castioni
Stylisme : Fanélie Patras
Interview : Tiphaine Lévy-Frébault

Marques :
BA&SH : blouse en broderie anglaise
BERENICE : jean taille haute
LORO PIANA : pull en cachemire et soie
ROLAND MOURET : top à oeillets

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