L'escalade, voilà une discipline qui a le vent en poupe et qui peut générer le fantasme de gravir de magnifiques montagnes à travers le monde...mais imaginez que vous vous attaquiez aux glaciers voire aux icebergs !
Jeff Mercier, l’alpiniste de glace
Si un sportif de haut niveau voit bien souvent sa carrière s’arrêter net entre 30 et 35 ans dans la plupart des cas, certains n’hésitent pas à pousser plus loin si leur corps ainsi que leur discipline le leurs permettent. C’est le cas de Jeff Mercier, grimpeur spécialisé dans l’escalade de glace qui, à 50 ans, continue à gravir des endroits à couper le souffle. Ainsi, Jeff se remet perpétuellement en question en cherchant ses propres lignes sur le fil de la difficulté et de l’engagement physique. Son domaine d’expression se situe en pleine nature, dans des endroits rares et peu explorés mais aussi dans des endroits où le risque est omniprésent et l’erreur irréparable. Les itinéraires qu’il suit sont ses propres créations, croisant imagination, acceptation du risque et aux limites de ses capacités physiques. Beside Sport vous fait découvrir ce personnage qui gagne à être encore plus connu pour son activité aussi dangereuse que majestueuse mais également pour le contenu exceptionnel qu’il en génère !
Premièrement Jeff, peux-tu te présenter ? Ton âge ? Ta profession ? D’où es-tu originaire ?
Je suis haut-savoyard, né au pied du Montblanc du côté de Sallanches, je vais avoir 51 ans en 2021, je suis marié et j’ai 3 enfants, 3 garçons entre 9 et 17 ans. Je suis guide de haute montagne mais mon métier principal que je pratique depuis une vingtaine d’années, c’est le secours en montagne. Je l’ai pratiqué dans divers endroits en France que cela soit à Chamonix, à Briançon et actuellement à Ajaccio pour au moins les deux prochaines années. A côté de cela, j’ai ma passion pour l’escalade de glace, à savoir tout ce qui gravite autour de l’usage du piolet. On peut donc faire du dry tooling, qui signifie grimper sur les rochers avec les piolets, mais également de l’escalade mixte qui signifie passer de la glace aux rochers ou inversement et enfin de l’escalade de glace pure que cela soit en cascade de glace ou dans les glaciers.
Tu as débuté relativement jeune par l’escalade. Comment as-tu découvert cette discipline ?
Ce ne sont pas mes parents qui m’ont initié à l’escalade mais c’est plutôt ma grand-mère, qui n’était pas du tout alpiniste, mais qui adorait la montagne. Elle me parlait souvent des montagnes qui étaient à côté de chez nous à Chamonix. Mais ce n’est pas parce que tu es originaire d’un endroit que tu vas aller dans les montagnes skier ou escalader.
Et c’est un de mes oncles qui m’a initié à l’escalade lorsque j’avais 13 ans en juin 1983. J’ai tout de suite été sensibilisé aux dangers de la grimpe car dès septembre de la même année, j’étais à l’hôpital car j’avais fait une erreur en descendant en rappel. En fait, j’avais fixé ma corde sur un piton qui s’est arraché et du coup, j’ai fait une chute de 10 mètres sur le dos et pour couronner le tout, j’étais tout seul sans téléphone portable à l’époque. Donc j’ai perdu connaissance puis j’ai repris mes esprits et j’ai pris mon vélo pour rentrer chez moi. Dès le début de la pratique, j’ai compris que cela serait quelque chose de dangereux à faire sans un bon encadrement. Mes parents n’ont jamais mis un frein à cette passion et depuis je grimpe dès que je peux, encore aujourd’hui. C’est ce qui me permet de garder une bonne forme physique ce qui est primordial pour l’escalade de glace.
Tu t’es rapidement orienté vers l’escalade de glace. Pourquoi ?
J’ai découvert cette pratique après coup grâce à une connaissance de l’escalade qui me racontait ses hivers et les trucs incroyables qu’il avait fait à travers le monde. Même si ce n’était que dans les années 90, c’était un des précurseurs dans l’escalade sur glace. De mon côté, j’ai commencé à rêver d’escalade sur glace avant de la pratiquer et c’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles je continue à pratiquer.
Te rappelles-tu des premières sensations que tu as eues lorsque tu t’es mis à grimper sur glace ?
Ce n’est pas forcément la première fois que j’ai grimpé mais plutôt par rapport à ce que me racontait cette personne, des cascades de glace qu’il escaladait au Canada et du coup c’était une vraie alimentation par le rêve. Car honnêtement, l’escalade sur glace, cela ressemble plus à du bûcheronnage qu’à de la belle escalade. On se prend des morceaux de glace dans le visage et on finit le nez en sang. Ce que j’aime particulièrement dans l’escalade de glace, c’est qu’il y a une limite dans le temps et que ce n’est pas figé. Le lieu est éphémère et va durer 2 semaines, 1 mois voire 2 mois maximum et ensuite il va disparaître…pour se reformer différemment. Ainsi, ce n’est jamais le même itinéraire et on est toujours dans la nouveauté.
L’escalade classique n’était pas suffisante pour toi ?
Je reste relativement touche-à-tout mais ce qui m’a rapidement intéressé dans l’alpinisme, c’était de faire des choses différentes et de sortir des voies classiques et des chemins très parcourus.
Peux-tu nous en dire plus sur le « dry tooling » ?
Au début, c’était une pratique d’entraînement à la cascade de glace qui permettait aux gens de retoucher les piolets et les crampons en grimpant dans du rocher soit dans des fissures naturelles soit en perçant des trous. C’était une activité d’avant-saison.
Dans les années 2000, j’ai fait de la compétition en Coupe du monde d’escalade sur glace et en France, on n’avait pas vraiment de supports pour s’entraîner. Du coup, on a dû aller voir à l’extérieur ce que l’on pouvait faire car aucun gérant de salle d’escalade ne nous laissait rentrer avec nos piolets et nos crampons. Et on a cherché des falaises afin de s’entraîner.
Peux-tu nous parler du matériel adéquat pour faire de la grimpe de glace ?
On reste sur le matériel classique du glacieriste, à savoir des piolets pour les mains et les crampons que l’on fixent sur les chaussures avec des pointes qui nous permettent de nous mettre sur des petites prises et de progresser. Ensuite, au niveau protection, il y a deux options : soit on prend une perceuse et l’on fait un gros trou de 10 centimètres dans lequel on met une vis et sinon, celle un peu plus écologique qui consiste à mettre des « coinceurs à came » afin de ne pas laisser de traces sur la montagne. J’opte pour la deuxième option car on suit la logique de la nature et on suit le chemin où il y a les protections et enfin on choisit la ligne qui en découle. Cela rajoute donc une difficulté à la pratique car on a plus de matériel, à savoir 10 kilos de plus sur le baudrier. De plus, on rajoute les cordes et les vêtements spécifiques au froid.
« Pour performer en escalade sur glace, il faut des qualités de bûcheron. Taper dans la glace, marcher des heures, on est dans quelque chose d'hyper rustique. »
Jeff Mercier
Quelles sont les qualités que l’on doit présenter pour être un bon grimpeur d’escalade sur glace ?
Il faut être assez rustique de base car on est dans le froid et il faut avoir envie de passer des heures dans des positions inconfortables…voire des jours. Il faut accepter l’incertitude de cette discipline et ne surtout pas s’attendre à une sorte de routine. Il faut être curieux et avoir toujours envie de découvrir de nouvelles choses et voir ailleurs comme cela se passe. Au niveau de la condition physique, il faut avoir beaucoup de force et être très gainé afin de pouvoir soulever tout le matériel.
Et les qualités de Jeff Mercier ?
Je n’ai jamais été un prodige de l’alpinisme et personne n’avait décelé chez moi un talent quelconque en tant que glacieriste. J’étais l’élève moyen avec 12 de moyenne et il n’y avait rien d’inné. C’est ce rêve qui a été mon moteur et qui continue à m’alimenter.
Tu t’es également attaqué à un iceberg. Peux-tu nous parler de cette expérience ?
D’abord, il faut très bien se connaître car ce n’est pas anodin de grimper un iceberg et du coup, il faut être sur de soi. Ce qui au début paraît improbable devient possible car tu as surtout fait un travail important et minutieux en amont. Avoir les bons contacts sur place, c’est primordial. Par exemple le pilote du bateau qui nous a amené devant l’iceberg dans notre cas. En tout cas, si je peux le refaire, je le referais.
Après je me souviens de ce que m’avait dit un professeur de mathématiques, à savoir » si t’as un gros problème, il faut le décomposer en petits problèmes et à la fin, ça aboutira ». On peut voir l’expérience iceberg de la même manière : Comment allez au Groënland ? Comment financer un voyage au Groënland ? Comment grimper un iceberg ? Comment aborder un iceberg ? Comment gérer la sécurité sur un iceberg ? Cette décomposition fait que si tu réponds par l’affirmatif à ces questions, tu peux ensuite laisser libre court à ton expérience. Faire la montée, c’est presque le plus facile !
Evoluant dans le milieu de la glace, es-tu sensible au réchauffement climatique. As-tu vu une évolution négative ?
C’est sûr qu’en tant que glacieriste, on est touché directement ! On le voit avec le yo-yo que fait le thermomètre dans les Alpes par exemple. Il peut faire très froid et ensuite très chaud ce qui fait qu’il y a des faces qui ne se grimpent plus du tout. Dans la moyenne, il fait toujours assez froid mais pas dans la continuité. Et c’est surtout au niveau de glaciers que l’on voit que le niveau de glace baisse d’année en année.
Je dirais qu’il y a eu une vraie accélération depuis les années 2000. Depuis 2005, c’est impossible d’avoir une saison d’hiver optimale. Il faut aller sur place et montrer les dégâts du réchauffement climatique. C’est pour cela que j’ai envie d’aller en 2020 ou 2021 au Kilimandjaro car la calotte glacière devrait disparaître en 2040.
On voit souvent des drames dans le milieu de l’alpinisme. L’appréhension voire la peur est-elle toujours dans un coin de ta tête ?
J’essaie toujours d’avoir peur dans un coin de ma tête ! Le fait d’avoir ce petit voyant entre le orange et le rouge nous permet de faire gaffe. Si tu balaies tout, c’est là que tu as de grandes chances d’aller au carton. Il y a 4 ans en arrière, j’ai été pris dans une grosse avalanche car j’avais occulté pas mal de points dans mon analyse. J’étais dans une démarche où je connaissais tout par coeur sur le lieu notamment et voilà comment cela s’est terminé. Il faut garder une grande humilité face à la montagne qui sera toujours plus grande et plus lourde que toi…il est impossible de gagner face à elle.
Lorsque je fais des conférences, les gens sont souvent un peu décontenancés car je ne leurs vends pas que du rêve. Ils s’attendent au fantasme de l’alpinisme, de la glace,…mais je leur explique qu’il faut faire attention, ce n’est pas faire du snowboard sur une piste balisée. De mon côté, j’ai besoin de ce facteur risque car sinon je m’ennuie. La preuve, récemment, je me suis mis à l’apnée car cela me correspond hyper bien, il faut analyser avant d’y aller.
« La proximité avec le risque est à double tranchant : Elle est à la fois excitante mais aussi effrayante ! »
jeff mercier
Ton compte Instagram fait rêver avec des photos et vidéos incroyables. Comment t’organises-tu pour réaliser ce contenu ?
Je profite des shooting photos pour financer mes voyages ! J’ai compris hyper vite que si je voulais aller chercher des partenaires, il fallait ramener du contenu de qualité. Après à voir si un sponsor veut que je fasse quelque chose en particulier ou alors si c’est moi qui initie l’idée et qui la propose aux marques. L’idée première était de pouvoir voyager sans perdre d’argent mais aujourd’hui vu que la création de contenu a pris une autre dimension, on essaie d’aller chercher un peu de budget en plus.
Quelle image souhaites-tu dégager sur ton compte Instagram et comment définirais-tu ta communauté ?
A la base, c’est-à-dire jusqu’10-15k de followers, c’était des spécialistes d’escalade. Mais depuis, c’est un peu plus large grâce à plus de photos de paysages même si je continue à toujours poster des photos d’escalade très techniques. Et dans mes commentaires, je n’omets jamais de dire que ce que je fais est très difficile et très dangereux. Alors ok c’est fun mais je me bats contre ces instagrameurs qui font des choses en montagne et qui un jour vont finir par se tuer juste pour une belle photo.
Après, j’alimente mon compte car, déjà, si je ne le fais pas, cela sera quelqu’un d’autre qui le fera. De plus, je ne suis pas trop mauvais dans ce que je fais donc autant que cela soit quelqu’un qui a du vécu et qui véhicule une image que j’estime bonne et saine.